Après moult vidéos de gameplay direct feed et deux lives, voici enfin venir notre critique complète de Styx: Shards of Darkness. Après la bonne surprise que fut le premier opus il y a maintenant 3 ans et demi, nous étions curieux de savoir si le studio Cyanide allait réussir à transformer l'essai dans cette suite. Encore perfectible sur plusieurs points, cet épisode nous aura néanmoins convaincus à bien des niveaux, et voici pourquoi.
Après avoir causé la chute de la tour d'Akenash, Styx, premier gobelin de l'histoire, a été plus ou moins contraint de se faire oublier. Il faut dire que ses congénères font l'objet d'une véritable traque, un groupe de soldats d'élite répondant au nom de C.A.R.N.A.G.E ayant pour mission de débarrasser les rues de leur ignoble présence. C'est pourtant le capitaine de cette unité spéciale qui donne l'occasion à Styx de sortir de l'ombre. D'abord persuadé d'être tombé dans un piège, le voleur à la langue bien pendue apprend qu'il est sur le point d'être recruté pour une mission bien particulière : voler un mystérieux sceptre en échange d'une grosse quantité d'ambre - source d'énergie magique qui lui permet de devenir invisible, créer des clones, et même d'accroître ses capacités de perception. Sans vous en dévoiler davantage, sachez qu'au contraire de Master of Shadows, qui concentrait son aventure dans la tour d'Akenash, Shards of Darkness va amener Styx à voyager régulièrement, de Thoben à Körangar, la cité interdite des elfes noirs, en passant par bien d'autres lieux que nous tairons ici. En tout, 9 missions (dont une dernière très courte) aux cadres et ambiances variés, qui n'évitent cependant pas le piège du recyclage, 4 d'entre elles demandant de retraverser des lieux connus pour les besoins du scénario - malgré la présence de zones additionnelles parfois.
Master of Shadows était parvenu à surprendre son monde par grâce à son approche sans concession de l'infiltration et la verticalité de son level design. 3 ans et demi plus tard, Shards of Darkness ne jouit peut-être plus du même effet de surprise, mais il s'appuie sur les mêmes points forts, en améliorant la formule à plus d'un égard. Première constatation, les niveaux traversés regorgent de passages et d'itinéraires, ce qui offre au joueur une liberté d'action assez impressionnante, au point d'en devenir assez intimidante quand on découvre le gigantisme des lieux la première fois. Si le jeu de Cyanide n'est pas construit comme un monde ouvert, il propose néanmoins des zones de jeu labyrinthiques construites sur plusieurs niveaux, qui devraient vous occuper une bonne heure chacune au moins. Le jeu invitant à refaire les missions pour améliorer son score/temps et essayer d'autres approches, vous pourrez y revenir par la suite. La présence (désactivable) à l'écran des objectifs principaux et secondaires apporte le minimum de guidage nécessaire pour s'orienter, mais l'exploration de chaque recoin vous permettra de récupérer des ressources et des objets bien utiles pour progresser. Pour déambuler dans ces dédales de couloirs et d'allées plus ou moins éclairées, les aptitudes physiques de Styx ne seront donc pas de trop.
Capable de courir, sauter, grimper, s'agripper, se balancer, mais aussi de se déplacer discrètement au sol, ou à la force de ses bras, même pour passer le coin d'un bâtiment, le sarcastique gobelin peut utiliser à son avantage la topographie des lieux. Critiquée dans le premier volet, la précision des séquences de plateforme est certes meilleure, mais encore perfectible, avec des accroches qui ne se font pas toujours aussi naturellement qu'on le souhaiterait. Peuvent alors s'ensuivre des chutes un peu injustes, qui deviennent cependant plus rares à mesure que l'on s'habitue à la forte amplitude des sauts, et au caractère assez capricieux de certaines prises. Heureusement, Shards of Darkness n'essaie jamais d'être un jeu de plateforme aux timings millimétrés, et la présence d'une quick save (que l'on peut également déclencher via la manette - touche droite de la croix directionnelle) évite la frustration quand on chute. Notons aussi quelques caprices de la touche RT, censée permettre à Styx de descendre les tyroliennes rapidement. Ce n'est jamais véritablement gênant, sauf dans le dernier niveau, si vous tentez d'obtenir le dernier morceau de quartz du jeu. Au delà de ces petites maladresses, faire évoluer Styx dans les différents chapitres est un vrai plaisir, d'autant que leur architecture et les objectifs qui y sont proposés savent faire preuve d'une jolie variété, avec des possibilités d'approche qui laissent beaucoup de latitude au joueur.
Level design alambiqué oblige, les niveaux de Styx : Shards of Darkness regorgent de cachettes pour fondre le héros dans le décor. Ainsi, il est toujours possible d'utiliser les coffres et les armoires pour se mettre à l'abri, la vue passant alors à la première personne, comme dans un certain Metal Gear Solid. Ce mobilier est également bien pratique quand il s'agit de dissimuler les corps de ses victimes, que l'on peut évidemment transporter sur son dos pour les tenir éloignés des regards indiscrets. Grâce à sa petite taille, Styx peut également se faufiler dans des espaces très étroits, sous un bâtiment ou une barque retournée par exemple, sans oublier ces grands pots décoratifs très à la mode dans l'univers du jeu. Attention cependant, car ces cachettes ne vous garantiront pas toujours l'échappatoire tant espérée. En effet, même dans le niveau de difficulté par défaut, les gardes alertés n'hésiteront pas à fouiller ces endroits, allant même jusqu'à repérer Styx sous une table, avant de l'attraper pour lui asséner le coup fatal. L'IA est d'ailleurs plutôt efficace dans l'ensemble, avec un temps de réaction assez court, mais surtout la capacité de voir le héros quand il se trouve en hauteur par rapport à elle. Les ennemis étant sensibles au son (pour certaines créatures aveugles, c'est même l'unique moyen de sentir la présence de Styx), la manière de se déplacer aura toujours son importance, et il faudra prendre garde à ne pas renverser une chaise ou une poterie dans l'obscurité. Une icône vous indique d'ailleurs si vous êtes visible ou non.
Comme dans le premier épisode, il est possible d'étouffer la flamme des torches éclairant les lieux, ou de les éteindre en leur jetant une poignée de sable. Parfois, cela attirera l'attention des gardes alentour, qui pourront aller jusqu'à s'en approcher pour la rallumer, ce qui peut faire office de guet-apens. D'autres moyens de diversion existent pour se libérer le passage, ou faire venir une cible à soi. Comme Sam Fisher, Styx peut par exemple siffler, mais il peut également utiliser les leurres qu'il est désormais en mesure de fabriquer (nous y reviendrons). Si le principe même du jeu d'infiltration est de ne pas se faire surprendre, Cyanide a décidé de revoir sa copie de manière à rendre les séquences de fuite moins frustrantes. Dans le précédent volet, être découvert par un ennemi proche déclenchait systématiquement un mini-jeu permettant de placer un contre et une riposte. Dans Shards of Darkness, il est toujours possible de bloquer une attaque (le timing est d'ailleurs toujours aussi serré), mais rien n'empêche le joueur de prendre ses jambes à son cou. Attention malgré tout, la faible constitution de Styx et sa vitesse de course toute relative le rendent très vulnérable. À ceux qui penseraient se débarrasser de tous leurs opposants pour éviter de se faire surprendre, sachez que certains gardes sont trop lourdement équipés pour que la dague du héros ne puisse percer leur armure. Une bonne idée, tant cela incite à rechercher des itinéraires alternatifs, ou à se lancer dans de vraies parties de cache-cache. Plus tard dans l'aventure, les nains, capables de (littéralement) sentir la présence de Styx, compliqueront encore la tâche du joueur un peu plus. Il sera cependant possible de s'asperger d'une lotion spéciale pour masquer l'odeur corporelle du gobelin.
Le challenge reste toutefois parfaitement abordable dans le niveau de difficulté par défaut, ne serait-ce que grâce à la flexibilité du système de sauvegarde. Styx peut en effet enregistrer sa progression quand il le souhaite, tant que ses ennemis ne sont pas suspicieux ou qu'il n'est pas traqué. Le mode coopératif est aussi un bon moyen d'aborder l'aventure un peu plus sereinement, puisque le clone qui vous prêtera main forte sera alors dirigé par un autre joueur. Les objectifs étant bien souvent multiples au sein d'une même mission, avec une totale liberté pour les aborder dans l'ordre que vous le souhaitez, cela permet de se partager la tâche. Le revers de la médaille, c'est qu'il est alors impossible d'abuser de la fonction de sauvegarde, puisqu'il n'existe aucun moyen d'enregistrer sa progression dans ce mode. Seul le passage d'un niveau à l'autre sera sauvegardé, ce qui ajoute une légère pression sur les épaules des deux joueurs. En effet, si Styx et son clone viennent à mourir ensemble, il faut recommencer la mission à zéro. En revanche, tant que l'un des deux joueurs reste en vie, il peut "vomir" un nouveau clone pour faire revenir son coéquipier dans la partie (au prix d'une bonne partie de sa barre de vie). Bien sûr, dans ce cas de figure, les deux personnages se retrouvent réunis au même endroit. La façon la moins risquée d'aborder les passages les plus délicats consiste donc à s'assurer que l'un des deux joueurs est en sécurité le temps de la manœuvre. Au moment de rejoindre une partie coop, il est possible d'importer son propre Styx dans la partie de votre ami, ou d'en utiliser un tout nouveau, vierge de toute expérience. L'ajout de ce mode coopération est une excellente idée, qui manque grandement au genre en général, la liberté d'action qu'il apporte en plus étant indéniable.
Shards of Darkness ne ménage donc pas ses efforts pour assouplir ses mécaniques de jeu, sans pour autant limiter le/les joueur(s) dans ses possibilités d'approche. Cette liberté, citée maintes fois déjà au cours de cet article, se retrouve également dans la manière d'aborder l'arbre de compétences, divisé en plusieurs branches. Celles-ci correspondent plus ou moins aux différents styles de jeu que vous pourrez adopter. L'arbre de furtivité se consacre aux aptitudes liées à l'invisibilité par exemple, tandis que celui de l'assassinat s'intéresse aux capacités offensives et défensives du héros. Sachant que dans les niveaux de difficulté supérieurs, le contre est impossible, une moitié de cette branche n'est pas fondamentalement utile. Si vous souhaitez pouvoir éliminer un ennemi en étant caché dans une armoire, il ne faudra cependant pas négliger certaines de ses compétences. L'alchimie est quant à elle réservée à la partie crafting du jeu, puisqu'elle débloque un certain nombre de recettes (comme les fameux pièges d'acide qui vaporisent tout type d'ennemis). Des fioles de vie ou d'ambre peuvent aussi être préparées, de même que des crochets pour les serrures, entre autres. Pour agrandir votre inventaire de gadgets, il vous faudra d'abord fouiller les niveaux pour ramasser les ressources nécessaires à leur confection. Cette branche permet aussi d'améliorer certains de vos équipements pour les rendre plus efficaces. Précisons au passage qu'il existe plusieurs tenues pour Styx, avec des bonus/malus distincts. Deux autres branches sont aussi proposées, l'une permettant d'améliorer votre clone (comme dans Master of Shadows, il est possible d'en prendre le contrôle pour travailler en parallèle ou faire diversion), et l'autre d'affûter vos sens pour mettre en évidence certains éléments de l'environnement.
Pour motiver le joueur désireux de tirer toute la quintessence de ce nouvel épisode, Cyanide propose quelques défis qui, eux aussi, l'invitent à aborder chaque mission de diverses manières. Le défi de célérité s'adresse avant tout aux adeptes de speed running qui connaissent parfaitement le niveau. Inutile de vous préciser qu'il sera difficile de décrocher la médaille ultime au tout premier essai. En ce qui nous concerne, si l'on fait exception du tout dernier niveau, très court (15 minutes environ), il nous aura toujours fallu au moins une heure pour venir à bout de chaque chapitre. Deuxième défi, nettement plus abordable si vous enregistrez votre progression régulièrement - et que vous êtes du genre à relancer votre dernière sauvegarde à chaque fois que vous êtes repéré -, le défi de l'ombre. Comme son nom l'indique, seuls les véritables fantômes peuvent y prétendre, puisqu'il faut absolument éviter de déclencher la moindre alarme. Il s'agit sans doute du seul défi que nous avons brillamment obtenu à chaque niveau. Vient ensuite celui de la clémence qui, vous vous en doutez, incite le joueur à ne faire aucune victime parmi ses adversaires. Voilà assurément l'un des challenges les plus intéressants et gratifiants pour l'amateur d'infiltration, car il exige une bonne dose de patience et d'adresse. Enfin, impossible de ne pas intégrer l'habituelle collecte d'objets, ici des jetons, qui permet d'obtenir le status de voleur et de réaliser le dernier défi de la liste. Bien évidemment, ne comptez pas réussir tout ceci en une seule tentative, d'où l'intérêt de pouvoir relancer n'importe quel niveau terminé depuis la planque de Styx. La réussite de chacun de ces défis octroie au joueur des points d'expérience, comme pour les missions (principales et secondaires).
Si l'essentiel de l'aventure vous donne une grande marge de manœuvre, quelques rares passages s'avèrent un peu plus linéaires, donnant alors une certaine variété à l'expérience globale. Ces derniers font généralement appel à l'agilité de Styx, dans des séquences où il faudra éviter des pièges, ou bien une menace plus agressive, comme dans la dernière mission du jeu par exemple. Dans ce niveau, construit sur un schéma bien différent des autres (si l'on excepte une rencontre bien spécifique à mi-parcours), la furtivité sera abordée d'une manière assez différente. Une belle façon de clore l'aventure, si l'on ne fait pas trop cas de la dernière partie de la cinématique finale, aussi abrupte que frustrante. Pourtant, malgré cette légère déconvenue, en dépit d'une histoire moins surprenante que celle de son prédécesseur, nous avons passé un excellent moment auprès du gobelin encapuchonné imaginé par Cyanide. Cette suite a très certainement profité d'un budget plus confortable, même s'il n'a pas suffit à proposer un nombre d'environnements différents plus important. Le level design a beau être très impressionnant, on aurait aimé ne pas retraverser autant de niveaux connus, ne serait-ce que pour motiver davantage la relance des missions terminées - ou la découverte du mode coop.
Un choix que l'on devine dicté par les moyens plus modestes d'un jeu de cette catégorie, ce qui est assez logique tant chaque niveau a dû nécessiter une somme de travail colossal. On retrouve également la marque du double A dans la réalisation du jeu, plus léchée que dans le volet précédent, mais encore très perfectible. La modélisation du visage de Styx est par exemple très réussie, mais celle des elfes et des humains laisse grandement à désirer. Ceci étant dit, le rendu des armures est de bonne facture, de même que la gestion de la plupart des éclairages, qui apportent énormément en termes d'ambiance. Les animations un peu raides ne choquent pas suffisamment pour qu'on les pointe du doigt, mais on aurait aimé voir plus d'étapes entre certains mouvements. De son côté, la bande son accompagne comme il se doit les différentes ambiances, avec un doublage anglais (le jeu est sous-titré en français) convaincants dans l'ensemble, en particulier pour le héros, toujours aussi drôle. On apprécie d'ailleurs la variété des moqueries du gobelin à chacune de ses morts, celui-ci s'adressant directement au joueur sans ménager ses mots. Styx n'hésite de toute façon pas à briser le quatrième mur de temps à autre, pour notre plus grand plaisir. Seule ombre au tableau, des problèmes de mixage en 5.1 plaçaient la voix du personnage principal dans les enceintes arrière pendant les phases de jeu. On nous a toutefois assuré que le problème serait corrigé pour la sortie.
Tous les commentaires (16)
Quant à ta question, la réponse est évidente. Si des suites sont lancées, c'est que le public a répondu suffisamment présent pour cela. Of Orcs and Men n'a rien à voir dans cette histoire, il partage juste son univers (qui était clairement la plus grande réussite du titre). Il n'y a d'ailleurs jamais eu de Of Orcs and Men 2. CQFD.
Encore merci pour la review qui m'a beaucoup aidé à franchir le pas