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Voilà un peu plus d'un mois, Square-Enix a profité d'un événement en marge de la Paris Games Week pour nous proposer un rapide hands-on de Deus Ex: Mankind Divided ainsi qu'une interview de Jonathan Jacques-Belletête et d'Olivier Proulx. La surcharge de l'actualité des semaines passées et le report du jeu à août 2016 nous avaient obligés à décaler la mise en ligne de notre article, le temps nécessaire à la retranscription des 41 minutes de l'interview nous manquant grandement. Si on ajoute à cela la très mauvaise qualité de notre enregistrement, on peut vous peut dire qu'il nous aura fallu souffrir pour vous offrir les 9 pages Word de l'article qui suit.
Mieux vaut avoir l'Adam dur
Il ne faudra pas vous attendre à quelque révélation que ce soit pour cette preview du jeu d'Eidos Montréal, dont nos collègues les plus émérites avaient déjà pu profiter au Canada au début du mois d'octobre. La démo présentée sur des PC calés sur les specs des consoles du moment proposait de découvrir deux niveaux du jeu, le premier à Dubaï, et le second à Prague. Un grand écart géographique appuyé par deux ambiances radicalement différentes, puisque la mission aux Émirats Arabes Unis se déroulait en plein soleil, tandis que la suivante prenait place pendant une nuit pluvieuse et froide. Après un débriefing en hélicoptère proche de ce que l'on pouvait voir dans Human Revolution (choix de l’approche - létale ou non - et de l'arsenal - contact ou distance - y compris), Adam débarque dans un hôtel de Dubaï où il doit observer une transaction tout en protégeant l'équipe d'intervention sur place. Pensé comme une phase de didacticiel pour accueillir le joueur dans l'aventure, le passage à Dubaï se montre pourtant vite assez exigeant, que l'on opte pour une approche furtive ou plus musclée. Le level design particulièrement bien étudié invite a chercher les chemins alternatifs qui ouvriront de nouvelles possibilités pour atteindre son objectif. On pourra de nouveau empiler des caisses pour se glisser dans un conduit de ventilation et surprendre des gardes et les mettre hors d'état de nuire.
En cas de faux pas, le jeu embraye assez naturellement vers le FPS, la mise à couvert à la troisième personne en plus. Les sensations sont bonnes, mais la résistance du héros aux balles étant toute relative en début de jeu, il ne faudra pas hésiter à se cacher autant que possible. Avec tous les gadgets mis à sa disposition et les nouvelles augmentations qui seront proposées, voilà qui promet un large éventail de possibilités pour jouer comme on le désire. D'autant que le menu des options permet de désactiver la totalité du HUD : la ligne qui indique la trajectoire pour passer d'une couverture à l'autre, les objectifs, les confirmations de tirs réussis, le réticule, les barres de vie et d'énergie, le compteur de munitions, l'indicateur de dommages, les contours jaunes sur les objets, l'indicateur de menace, ou l'icône qui prévient qu'une grenade est tombée près de vous, etc. La mission s'est terminée pour nous au beau milieu d'une tempête de sable, nous obligeant à utiliser nos augmentations pour voir où se trouvaient nos ennemis et atteindre un hélicoptère qu'il fallait neutraliser. Une première mise en bouche qui nous aura tout de même donné un peu de fil à retordre, au point qu'il ne nous restait que très peu de temps pour nous essayer au second niveau disponible, qui commençait donc dans les rues de Prague, et finissait dans les sous-sols d'un théâtre (que nous n'aurons pas eu le temps de rejoindre).
L'Huma tourne mal
La belle Prague ne se présentait pas sous son meilleur jour, avec sa pluie glaciale et ses pavés marqués par les années, mais on le sait, dans un jeu vidéo, c'est bien souvent dans les pires conditions météorologiques que les graphismes impressionnent le plus. L'effet de relief donné aux fameux pavés n'y était pas étranger non plus, même s'il ne fallait évidemment pas s'amuser à zoomer sur le sol pour découvrir l'habile "supercherie". Plus que le visuel, ce qui étonnait sans doute le plus ici, c'était la nette différence avec la direction artistique de Human Revolution et du niveau que nous venions de terminer. Plus sombre, plus inquiétante, l'ambiance aurait même presque rappelé celle de certains niveaux de la série Hitman. À l'extérieur du théâtre, de nombreux hommes de main patrouillaient autour des véhicules garés sur la petite place, rendant difficile toute approche furtive. Assez alertes, ces vigiles peu aimables n'ont pas hésité à nous sauter à la gorge à la moindre inattention de notre part, nous obligeant à relancer le début de la mission plusieurs fois. Comme d'habitude dans la série, la zone à infiltrer disposait de plusieurs entrées, et nous avons opté pour les toits, après avoir découvert une échelle dans une contre-allée un peu à l'écart. Bien sûr, les hauteurs ne nous assuraient pas pour autant une promenade de santé, puisqu'un homme armé d'un fusil sniper faisait lui aussi sa ronde sur le toit du théâtre.
Las, le temps dont nous disposions touchait à sa fin quand nous sommes enfin parvenus à pénétrer à l'intérieur de l'enceinte, notre précipitation amenant alors une fusillade dont nous ne serons pas sortis vivants. Fin de la démo, il nous fallait laisser la place aux journalistes suivants, non sans quelques regrets puisque notre manque d'efficacité nous aura privés d'un très bon passage dans un théâtre tout en verticalité. Qu'à cela ne tienne, nous n'en serons que plus motivés pour un prochain événement. Si nous ne pourrons bien évidemment pas juger de la tenue technique du jeu en nous basant sur la version présentée, notre expérience globale a été tout à fait satisfaisante. On se souvient que la critique essentielle sur le premier volet tenait surtout à ses graphismes un peu désuets et ses performances moyennes, mais ce que nous avons vu s'annonce plutôt rassurant. Mankind Divided n'est peut-être pas encore le jeu le plus impressionnant de sa génération, mais il est à la page techniquement. La direction artistique fait une fois de plus des merveilles, et il nous tarde de découvrir tous les environnements que nous réserve le studio. Et puis il y a tout ce que nous n'avons pu découvrir, l'histoire elle-même et toutes les promesses qui vont avec. Les implications politiques et sociales qui ne manqueront pas de faire surface dans un monde où les Augmentés sont devenus des parias s'annoncent passionnantes. Quand on sait à quel point les développeurs se sont investis dans les thèmes qui gravitent autour du transhumanisme, difficile de ne pas trépigner d'impatience.
Impressions
Courte mais prometteuse pour l'amateur de Human Revolution, cette première prise en main du jeu de Square-Enix ne nous a pas fondamentalement surpris, mais nous a néanmoins rendus encore plus impatients de découvrir l'aventure dans son ensemble, et surtout son histoire. Si les graphismes du précédent volet avaient pu décevoir, la plastique de sa suite se veut nettement plus aguicheuse, à défaut d'être totalement révolutionnaire. Exigeant quelle que soit l'approche choisie pour aborder les deux niveaux que nous avons pu essayer, ce nouvel épisode des aventures d'Adam Jensen se fera un peu plus attendre que prévu, puisqu'il a récemment été repoussé à la fin du mois d'août 2016, mais on ne doute pas que cela sera d'autant plus profitable à la qualité globale du titre. On espère d'ailleurs avoir l'occasion de revoir le jeu lors d'une éventuelle preview d'ici là, de manière à vous confirmer ces toutes premières bonnes impressions.
INTERVIEW
Jonathan peux-tu expliquer aux lecteurs de Gamersyde quel a été ton parcours en tant qu'artiste et développeur ?
Jonathan Jacques-Belletête :
J'en suis presque à ma 17ème année dans l'industrie, j'ai une formation en arts classiques, illustrateur. J'ai fait ça quelques années et à la première opportunité, je suis entré dans le jeu vidéo dans les années 90. Voilà le parcours montréalais normal si on ne commence pas immédiatement chez Ubisoft - parce qu'à cette époque tout le monde allait chez eux. J'ai fait deux petites boîtes avant d'être contacté par Ubisoft pour être assistant DA sur une version current gen du tout premier AC, prévue à la base. J'ai aussi eu l'occasion de travailler sur Far Cry, ainsi que sur d'autres projets qui ne se sont finalement pas concrétisés, mais ça a vraiment été de très bonnes années. Puis en 2007, il y a eu cette possibilité de rejoindre l'équipe qui était prête à risquer de ramener Deus Ex sur le devant de la scène, une franchise dont personne ne pensait qu'il était possible de réussir là où les créateurs originaux avaient échoué, en ne donnant pas une suite à la mesure des attentes.
Et toi Olivier, peux-tu nous expliquer comment tu en es arrivé à travailler en tant que producteur sur Deus Ex : Mankind Divided ?
Olivier Proulx :
Ça fait 12 ans que je suis dans l'industrie. J'ai commencé dans le milieu du jeu mobile, dans une boîte qui a ensuite été acquise par Electronic Arts. J'ai fait beaucoup de titres sur iPhone et iPad. Au début c'était des projets minuscules avec 5 ou 6 personnes, je faisais de la production, du design, de la programmation, un peu de tout. Au fur et à mesure, la technologie du mobile a avancé, avec des productions qui ont pris de plus en plus d'ampleur, et j'ai "grandi" avec cette technologie là. Ensuite, j'ai édité le premier jeu iPad d'EA, des Need for Speed et d'autres titres. À un moment, j'ai eu une opportunité chez Warner Brothers Montréal chez qui j'ai fini par m'occuper d'un jeu Lego. Il y a deux ans environ j'ai rejoint la franchise Deus Ex et l'équipe dont fait partie Jonathan.
À la base, tu as plutôt une formation dans la production où tu as également des compétences en programmation, puisque tu as dû toucher un peu à cet aspect à tes débuts ?
Olivier :
J'ai fait des études en informatique, mais je n'ai jamais été un excellent programmeur. J'ai toujours été intéressé par la gestion. Déjà à l'époque, j'ai eu l'occasion de prendre en charge des petites équipes. Puis j'ai fini par dévier vers la production.
La dernière fois que l'on s'était vus avec Jonathan, c'était pour la preview de HR et il y avait toute cette pression autour de ce grand retour, après un second volet assez tièdement accueilli par la critique et les joueurs. Comment avez-vous abordé le développement de Mankind Divided après le succès du reboot ? Est-ce-que ça a changé quelque chose dans la manière d'aborder cette suite ? Est-ce-que ça a ajouté une pression supplémentaire ?
Olivier :
Il y a toujours une certaine pression, mais je pense que la pression est différente de ce que l'équipe a vécu la première fois. Les attentes sont élevées, la franchise est ré-établie, Adam Jensen est un personnage qui est connu maintenant. Pour nous il y a des acquis très importants sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour Mankind Divided, mais c'est vrai qu'il y a cette pression et ces attentes, mais à l'interne cela nous pousse à améliorer la franchise. C'est une série qui reste très complexe à développer, avec beaucoup de systèmes qui doivent fonctionner ensemble, un aspect narratif, les choix et les conséquences, beaucoup de contenu fait de manière très artisanale. On a développé un moteur à l'interne, on a vraiment confiance en la franchise et en nos moyens de la faire évoluer. L'équipe de level designers est plus en confiance, même chose pour les artistes, mais oui, on ressent tous cette pression malgré tout.
Jonathan :
Et c'est ça qui est intéressant. Par rapport à ce que tu disais, la pression à la base venait du premier Deus Ex, de savoir si nous allions être capables d'être à la hauteur du studio original, mais cette fois, le volet précédent, c'est nous. La question est donc désormais de savoir si nous allons réussir à bien exploiter les bases que nous avons posées.
Il y avait une raison particulière à vouloir développer votre propre moteur plutôt que d'utiliser un moteur déjà existant ?
Olivier :
Oui, le choix d'un moteur fait partie des grosses décisions que l'on doit prendre dans le développement d'un jeu. On voulait investir dans un moteur pour avoir un contrôle total sur la franchise, être en mesure de respecter la vision artistique de Jonathan, ce que nous permet le Dawn Engine. Nos outils permettent de gérer le système de choix et de conséquences. C'est un investissement pour le studio, mais pour le type de jeu que l'on fait, avoir son propre moteur est vraiment une valeur ajoutée, car nous pouvons tout modeler à notre façon ; mais cela reste un défi parce que lorsque l'on développe son moteur, les outils ne sont pas toujours très stables au départ.
Jonathan :
Même si on en avait acheté un, il aurait fallu le modifier, donc ce serait plus ou moins revenu au même.
Olivier a mentionné la partie artistique, et cela tombe bien puisque nous voulions évidemment en parler. Avec l'arrivée des nouvelles consoles, la puissance actuelle des PC, est-ce-qu'il est plus facile de rester fidèle à la vision artistique initiale grâce aux nouveaux outils ? Est que vous avez dû faire des compromis dans le premier et peut-être moins dans le second ? Qu'est-ce-qui a changé entre la DA de Human Revolution et celle de Mankind Divided ?
Jonathan :
Il y a deux réponses à cela. Le côté purement technologique que nous n'avions pas avec HR, le moteur de l'époque étant nettement moins performant. Cela n'empêchait pas la DA d'être très marquée, ce qui montre bien que la technologie et l'artistique sont deux éléments bien distincts. Avec Mankind Divided clairement, on a la technologie, notre moteur, donc ce gros morceau qui manquait selon moi sur HR, il est là. Tout est beaucoup plus fidèle en termes de rendu, les matières sont plus réalistes par exemple. J'avais quelques craintes au début, parce que Deus Ex est une série très stylisée ; nous essayons de faire quelque chose de très crédible, au travers des balises visuelles que l'on se fixe, car le monde est évidemment fictif, donc le visuel l'est aussi. Mais maintenant, on utilise un éclairage PBR (Physically based Rendering), le rendu se base sur les vraies formules de réfléchissement de la lumière sur les différentes matières, comme le bois par exemple. Au début, j'avais quelques réticences car je craignais que l'on obtienne un rendu photo-réaliste et que l'on se détache de la ligne directrice artistique de HR. En fait, ça n'est pas du tout qui s'est passé, puisque je trouve au contraire qu'on se trouve totalement dans la continuité stylistique de HR, mais avec une fidélité 1000 fois plus haute. Les matières sont beaucoup plus justes, beaucoup plus réalistes, ou plutôt crédibles, mais en même temps, il y a cette couche par dessus qui ramène à quelque chose de très stylisé, et c'est vraiment ce que je ne voulais pas perdre dans MD.
Olivier :
Avec l'arrivée de nouvelles consoles, on veut toujours tout pousser beaucoup plus loin, les effets de lumière, le rendu des matières, etc. donc au début on a tendance à penser qu'il n'y a plus de limites. Et puis au final, il faut bien accepter l'idée qu''il va falloir optimiser au maximum pour que le framerate tienne le coup et on revient aux bons vieux défis que l'on connaît à chaque génération.
Jonathan :
Oui c'est, vrai, quelque part, on fait toujours la même erreur, même si ce n'est pas vraiment une erreur. Disons plutôt que l'on est toujours dans le même type de fonctionnement, au lieu de se dire que l'on va réduire telle ou telle chose pour mettre toute la puissance sur l'animation, on veut faire monter en puissance toute la partie technique de manière équivalente, et du coup, à un moment il n'y a plus assez de mémoire. C'était comme ça avec la PS1 quand j'ai commencé, c'était pareil avec la PS2. Voilà, ça c'était par rapport à la technologie, mais maintenant, pour terminer la réponse à ta question sur le côté artistique, au niveau des thèmes, c'est sûr qu'il a fallu jongler avec certaines choses pour que ce soit différent. Si HR racontait le transhumanisme et le futur où on se laisse aller, là c'est le contraire. On avait inséré l'idée du syndrome d'Icare dans HR, cette fois, Icare s'est brûlé les ailes sur le soleil. Les gens sont allés trop loin, ils ont trop fait la fête, ils ont trop abusé et la société fait vraiment un virage à 180 degrés. Après la Renaissance, on retourne à l'Âge Sombre, au Moyen-Âge, le jeu est donc plus lourd, plus sombre et plus glauque, plus désaturé, plus gris, plus bleu. Le noir et or de HR revient, mais de façon très ponctuelle, dans les ghettos des Augmentés, quand le transhumanisme reprend de la force, mais sinon il y a vraiment un côté plus cartésien. On appelle ça le féodalisme corporatif (système politique ou économique dans lequel les corporations se substituent aux gouvernements pour diriger un pays). Prague est une ville médiévale par exemple, mais on y a juxtaposé des éléments très carrés. Il y a donc des changements visibles par rapport à HR, mais il y a une raison derrière ces changements.
Est-ce-que c'est ce qui explique la présence de villes européennes, ou du moins d'une ville européenne puisqu'on ne sait pas encore où Adam Jensen va nous emmener ?
Jonathan :
En partie oui, avec ce retour à une ère plus médiévale. Mais ce n'est pas la seule raison pour la présence de Prague dans le jeu.
Le premier niveau tutoriel se passe de jour à Dubaï, quelque chose que l'on ne voyait pas dans HR. Y-aura-t-il d'autres niveaux qui se dérouleront en pleine journée ? Verra-t-on Prague de jour également ? Doit-on s'attendre à la même unité artistique que dans HR, ou au contraire à une plus grande variété, sans tomber dans le cliché du "niveau plage", du "niveau dans la neige" etc. que les thèmes que vous avez choisis ne peuvent pas permettre ?
Jonathan :
C'est sûr que nous avons un univers cyberpunk, ça serait sans doute un peu bizarre de voir Adam se promène dans la forêt, ou sur une plage, même si ces endroits existent quand même dans un tel univers car cela se passe sur terre. Mais on a toujours eu la volonté d'explorer des thèmes un peu incongrus et de les essayer quand même. Dans HR par exemple, il y avait une forêt à une époque, on n'y partait pas pour faire la chasse aux caribous, mais il y avait une raison de s'y rendre, une maison dans laquelle un hacker s'était réfugié. Au final, cette séquence n'a pas été intégrée dans le jeu, mais on a toujours cette volonté d'essayer des choses un peu inattendues pour du cyberpunk. Il y a plus de cela dans Mankind Divided et j'en suis très content. On avait déjà eu l'idée d'inclure le jour dans HR, on se disait que Blade Runner se passait tout le temps la nuit, même chose pour le premier Deus Ex. Malheureusement au bout du compte, on a fini par faire un jeu qui se déroulait aussi tout le temps la nuit (rires) ; même si pour la Panchea, à la fin du jeu, je tenais vraiment à le faire. L'Antarctique, on veut le voir avec un beau ciel bleu et la neige blanche, les glaciers, parce que la nuit ça aurait été moins intéressant. Ça a très bien fonctionné, mais pour le reste du jeu non, même si on l'aurait bien voulu. On souhaitait que le joueur évolue essentiellement de nuit, mais on aurait aussi voulu donner plus de place au jour.
Olivier :
Avec Dubaï c'était intéressant de proposer une mission en journée, avec la tempête de sable menaçante, l'hôtel délabré, les ouvriers morts, très loin de la ville que l'on s'imagine, riche et propre.
Cela rappelle d'ailleurs un peu Spec Ops qui avait parfaitement illustré la décadence de Dubaï.
Jonathan et Olivier :
Oui superbement. Tout à fait.
Le scénario du jeu nous amènera-t-il à revenir à Dubaï plus tard ou est-ce juste un niveau unique pensé pour l'introduction de l'aventure ? Si vous avez le droit de nous répondre.
Jonathan et Olivier :
(rires) Nous ne dirons rien à ce sujet.
Peut-on au moins savoir si nous aurons droit à d'autres niveaux tout aussi surprenants pour un univers cyberpunk ?
Jonathan :
Oui bien sûr. Je pense d'ailleurs que tous nos niveaux sont surprenants parce que c'est une de nos forces, car même si on vous met dans les motifs cyberpunks courants, on a la faculté de surprendre un peu. Mais il y a des choses, une map en particulier dont je ne dirai rien, où on sort vraiment des sentiers battus.
Est-ce-que les retours des joueurs ou de la presse sur le premier opus ont eu un impact sur les choix artistiques ou ludiques ?
Jonathan :
Au niveau des thématiques visuelles, il n'y a pas eu tant d'échos que ça de la part des gens. Certaines remarques étaient importantes à nos yeux, comme la façon d'appréhender les combats de boss, mais au niveau visuel, au delà du fait qu'il était évident qu'il nous fallait une technologie de pointe, je n'ai jamais reçu de critiques par rapport au choix des environnements. Dans les messages que je reçois encore aujourd'hui, on me demande plus de ne pas oublier de construire enfin des plafonds débiles avec des trucs qui pendent de partout (rires).
Vous n'avez jamais eu de demandes pour des villes européennes justement ? Les fans de la série Assassin's Creed ont toujours évoqué leurs préférences pour les époques à visiter par exemple.
Jonathan :
Non même pas. Les Assassin's Creed ont cette composante quasi touristique qui génère des attentes plus marquées en ce qui concerne les lieux à visiter, mais pas Deus Ex. Dès que tu as une époque favorite, il y a un lien rapide avec Assassin's Creed. De notre côté, c'est plus subtil, on peut moins facilement nous interpeller pour demander tel ou tel lieu. La série Deus Ex a un côté Globe Trotter, il faut un voyage autour du monde. Dans MD, l'Europe venait beaucoup de nous en fait, nous n'étions pas allés en Europe dans HR, dans le premier Deus, il y avait un passage rapide à Paris, du coup l'équipe avait vraiment envie de proposer des environnements européens.
Le tourisme dans Deus Ex, est plus celui du voyage dans le temps, la découverte d'une époque futuriste, qui peut nous faire peur ou au contraire nous hypnotiser.
Olivier :
Prague est justement un lieu très intéressant à ce niveau, parce que tu as la juxtaposition du vieux avec le cyberpunk et de la technologie.
Cette envie de faire voyager Adam et le joueur à travers le monde, comme dans HR, a-t-elle exclu tout de suite l'idée de proposer un vrai open world, ou le choix de segmenter l'aventure vient d'une décision de game design ?
Jonathan :
Jusqu'à maintenant il n'a jamais été question de développer un jeu en monde ouvert.
Olivier :
Un jeu comme Deus Ex en version open world, cela ne collerait pas avec notre approche du level design, notre fonctionnement en hubs propose une ouverture du gameplay, mais tout est fait à la main, de façon très artisanale. Pour avoir cet esprit de world design très ouvert avec des systèmes de jeu qui s'emboîtent, avec des environnements qui racontent une histoire, des personnages qui interagissent entre eux, et la réalisation qui va avec, cela serait compliqué à mettre en place dans un jeu open world.
Jonathan:
Un jeu open world nous obligerait en plus à faire trop de compromis.
On en avait parlé également en août dernier pendant la Gamescom, quand on avait posé la question de savoir s'il y aurait plus de PNJ dans MD, plus de vie, et la réponse était de s'assurer que chaque personnage avait quelque chose à raconter, que le but n'était pas juste de mettre des gens pour créer de la foule.
Olivier :
On mise en effet moins sur un système de foule et plus sur le fait que ces passants peuvent avoir des choses à raconter, ou qu'ils puissent vous diriger vers des quêtes annexes.
Avec toutes les histoires d'augmentations et la science toujours au centre de l'univers, quelle est la part de réalité scientifique dans la série ? Est-que-ce que, dans vos recherches sur la robotique ou les différents domaines qui tournent autour du transhumanisme, vous avez découvert que le fossé entre le cyberpunk et la réalité n'est pas aussi important qu'on ne le pense ?
Jonathan :
Pour moi en fait, la vision du cyberpunk des années 80/90, et même un peu la nôtre, je pense qu'on la vit aujourd'hui complètement. On n'est peut-être pas dans l'aspect punk, mais il y a un truc très kitch dans le cyberpunk, et c'est justement ce côté punk imaginé dans les années 80. Mais sinon, tout ce que le cyberpunk met en avant au niveau de la technologie et des sociétés, on y est plus ou moins, on joue sur des virgules aujourd'hui. Certaines prédictions des grands classiques du genre n'étaient pas toujours bonnes, dans Blade Runner, le côté réseautique n'existe pas du tout par exemple, mais Ghost in the Shell l'a, lui, mais c'était des films. On n'est pas au cinéma là, mais c'est très intéressant d'analyser tout cela, parce que l'on vit probablement aujourd'hui ce que le cyberpunk mettait en avant.
Qu'est-ce-que c'est le cyberpunk d'aujourd'hui du coup ? HR et MD nous projettent dans le futur, donc qu'est-ce-qui change dans la façon de faire du cyberpunk aujourd'hui par rapport aux années 80/90 ?
Jonathan :
Au niveau esthétique, ce que nous avons voulu faire depuis le début, c'était de renouveler la chose. Il y avait un côté "fashion" qu'on avait amené avec HR, je ne dis pas qu'on avait inventé la cyber-renaissance, mais mélanger ces deux époques était intéressant pour visiter une nouvelle forme de cyberpunk. Après ça, on se base sur les avancées technologiques. Dans le premier Deus Ex, il y avait des écrans 4:3, personne n'avait de téléphone cellulaire, mais nous aussi, dans notre approche de l'anticipation, on va tomber à côté de la réalité. Quand on développait HR, on s'est dit qu'en 2027, on se ferait une vraie soirée et on rejouerait au jeu. Je pense qu'à ce moment là, on aura dépassé complètement certaines de nos prédictions, même si on ne verra sans doute jamais de trous dans l'océan ou de villes à deux étages.
Un peu comme ce que l'on vit tous en ce moment avec Retour vers le Futur 2 ?
Olivier et Jonathan :
(rires) Complètement !
Olivier :
Par rapport à MD, l'équipe a fait énormément de recherches dans tout ce qui touchait au transhumanisme. En 2007/2008, quand ils travaillaient sur Human Revolution, c'était difficile de trouver des références et les gens ne savaient pas vraiment ce qu'était le transhumanisme. Maintenant, c'est beaucoup plus d'actualité, les avancées de la technologie ont été incroyables de ces dernières années.
Jonathan :
Quand on pense que l'iPhone n'existait même pas quand on a commencé à travailler sur Human Revolution. Les smart phones n'existaient pas.
Olivier :
Aujourd'hui, dans Mankind Divided, c'est tout simplement un travail dans la continuité.
Jonathan :
C'est devenu notre truc tu sais. Il a fallu se l'approprier avec HR et c'est une continuité de cette appropriation. On est quasiment des mini-spécialistes, même si cela reste à un niveau très modeste. On a tellement lu de choses sur le sujet, Will Rosellini, qui est vraiment en première ligne de la recherche transhumaniste aux USA, est quelqu'un avec qui l'on parle régulièrement, on le consulte. Les prothèses que l'on faisait, les augmentations cybernétiques que l'on créait pour HR ou au début de MD, très sculptées, on a sorti tout ça de notre tête à l'époque. Je ne dis pas que nous serions capables d'aller faire des conférences dans des universités, mais on a acquis certaines notions et on comprend bien ce phénomène. Si tu fais une recherche sur la cybernétique en général, tu vas tomber sur des articles ou des images qui mélangent des trucs de Deus Ex avec de vraies infos, et vice-versa. Quelque part, je pense que nous nous sommes insérés dans le dialogue sans vraiment l'avoir voulu, juste parce que nous avons bien fait nos devoirs.
La propagande et le mouvement anti-Augmentés de Mankind Divided font-ils aussi écho à quelque chose d'actuel que l'on peut voir auprès de ces personnes qui commencent à se demander si tout cela ne va pas trop loin ? Toutes ces questions que certains se posent : est-ce-que nous ne sommes pas trop connectés ? Ne faudrait-il pas faire l'inverse, comme tous ceux qui partent dans des trips d'isolement technologique total ?
Jonathan :
Au niveau de la connectivité je pense que oui. Au niveau de la cybernétique, je ne crois pas que ça va commencer tout de suite. Mon avis, c'est que quand les gens commencent à avoir une certaine fierté vis à vis de quelque chose qu'ils possèdent, ils génèrent de l'envie. À mon sens, c'est là que se créeront les premières frictions, quand les gens commenceront vraiment à se modifier, parce que les autres se diront qu'ils sont plus forts, plus rapides etc.
Comme ce qui s'est plus ou moins passé avec Oscar Pistorius aux Jeux Olympiques finalement.
Olivier :
On n'est pas encore arrivé au moment où quelqu'un décide de changer son bras pour être plus performant.
Jonathan :
Moi je dis que ça va arriver dans les 10 prochaines années.
Olivier :
C'est évident que si on arrive à ce genre d'augmentations, on va voir surgir un mouvement de contestation, à partir du moment où l'on commence à jouer avec l'être humain, il y a des réactions.
Jonathan :
Ce que l'on voit côté culturel, c'est la fierté des soldats qui reviennent de la guerre et qui se font fait amputer. Dans les années 70/80, le but c'était de camoufler le plus possible, en faisant une prothèse qui avait l'air d'une vraie jambe, ce qui était pourtant impossible à l'époque, ou en cachant son infirmité avec des vêtements. Maintenant, comme ce sont en plus souvent des jeunes qui reviennent de la guerre estropiés, ils n'hésitent plus à porter un short et des baskets avec leurs jambes de robot, et ils affichent une vraie fierté. Ils commencent du coup à donner à cela une dimension culturelle et cela peut déjà créer des frustrations de la part des autres. "Il se prend pour quoi avec ses jambes de robot, etc.", ce genre de choses. Il y a aussi eu cette histoire de cet homme avec ses Google Glass qui en avait besoin pour des raisons médicales, dans un McDo à Paris je crois, deux personnes les lui avaient arrachées avant de lui demander de partir. Quand on entend ça, on se dit que ça a déjà commencé. Après, il y a évidemment aussi des gens qui préfèrent rester le plus discret possible en cachant leur prothèse, un peu comme avec les voitures. Tout le monde ne met pas des néons en dessous. Dans HR, on n'avait pas eu le temps mais on avait pensé ajouter un personnage complètement tuné qui s'était ajouté des enceintes (rires).
Olivier :
Mankind Divided va d'ailleurs proposer quelques augmentations assez surprenantes.
Pour terminer, deux dernières questions sur la partie gameplay puisque MD propose deux types de points d'expérience différents en fonction de son approche des situations (infiltration ou létal), doit-on craindre un déséquilibre entre la quantité de points obtenus et ce que l'on pourra en faire après ?
Olivier :
Le but est d'être le plus équilibré possible. Il y a de nombreuses façons d'aborder Deus Ex évidemment, mais même si celui qui choisira la voie de l'action recevra sans doute des points d'expérience plus régulièrement en apparence, il n'en obtiendra pas plus qu'un joueur qui choisira de rester discret. Pour ce dernier, l'idée est de lui donner une plus grande quantité de points à chaque fois, pour que cela reste le plus équilibré possible. L'exploration est également valorisée au niveau du gain d'XP, avec la découverte de missions annexes par exemple. L'approche non létale sera plus un défi je pense, car c'est bien plus difficile de rester invisible.
Jonathan en parlait rapidement tout à l'heure puisque c'était la critique essentielle adressée au premier volet, les boss devaient obligatoirement être tués et les joueurs qui préféraient l'infiltration n'étaient pas toujours assez bien équipés pour les vaincre. Si on peut vraiment éviter un combat dans MD, est-ce-que ce n'est pas risquer de priver certains joueurs d'une partie de l'expérience ?
Olivier :
C'est le concept même de Deus Ex, car en laissant la liberté de choisir ses augmentations, de prendre certaines décisions, on sait très bien que certaines choses ne seront pas vues ou vécues par tout le monde. On l'assume totalement au niveau de la production, on fait beaucoup d'efforts pour inclure des choses qui ne seront peut-être pas jouées par tous, mais c'est aussi ça qui fait la beauté d'un Deus Ex. Donc oui, il est possible d'éviter, d'aller à l'affrontement, létal ou non létal, en utilisant les mécaniques d'infiltration.
Eh bien merci encore à tous les deux, on vous souhaite bon courage pour les mois de développement qu'il vous reste et on a hâte de passer un peu plus de temps sur Mankind Divided.
Jonathan et Olivier :
Merci, à bientôt !
Tous les commentaires (8)
Le jeu a l'air chouet. Comme tous les deus ex!
Sinon j'ai récemment fait HR et j'ai vraiment adoré donc celui là yes j'en suis!